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Le dernier combat. Comme de nombreux photographes de la faune sauvage, j’étais présent au brame du cerf ce 6 octobre. Avec mon ami Christophe, nous espérions réaliser quelques images de ce spectacle de vie intense qu’offre la nature à chaque automne. Notre attente était toutefois modérée du fait de l’environnement fermé des Monts d’Orb (nord du département de l’Hérault), des conditions météorologiques qui y sont souvent peu favorables à cette saison, et de la pression de chasse exercée sur certains secteurs . Ce 6 octobre n’a pas fait exception et nous avons été contraints de rentrer plus tôt que prévu, empêchés d’écouter et d’observer dans de bonnes conditions par le vent et les petites averses régulières. Les cervidés semblaient également plus discrets dans ces conditions. Sur le chemin du retour, nous apercevons sur la piste, au détour d’un virage, l’arrière-train d'un cerf qui semblait se battre. Mon appareil photo étant accessible sur le siège arrière du véhicule, je m’approche silencieusement. Accroupi au bord de la piste, je me prépare à immortaliser un combat saisi au plus près de « l’arène ». Émotion ! Mais voilà qu’en lieu et place de saisir une scène de vie, je deviens le témoin de la fin d’un affrontement dont j'ai perçu l’issue fatale dés mes mes premiers déclenchements . Je me suis alors senti impuissant à faire cesser ce combat à mort et j’ai continué à prendre des images car ainsi va la vie. Le cerf blessé essayait de se lever, mais en vain car, comme je l'avais pressenti et nous le constaterons peu après, il avait les reins brisés et des blessures dans le flanc et au poitrail, sous l’épaule. Incapable de se lever et son rival ne lui laissant aucun répit, il finit par ne plus bouger, couché sur le flanc à même la piste, épuisé. Son regard exprimait la résignation face aux assauts de l’autre cerf qui poursuivait ses charges. N’y tenant plus, je me suis alors dressé au milieu de la piste en criant et en gesticulant. Le cerf vainqueur a fini par regarder dans ma direction et il a rapidement cherché refuge dans la forêt. J’étais soulagé en le voyant fuir car, emporté par sa hargne, il aurait pu me charger à mon tour. De telles charges ont été déjà rapportées, certaines mortelles. Nous sommes restés en silence non loin du cerf agonissant, impuissants, en attendant la venue d’un technicien susceptible de pouvoir mettre fin à ses souffrances. Malgré sa réactivité, le cerf était mort à son arrivée. Ce moment de nature impressionnant restera à jamais gravé dans ma mémoire. Mon seul regret sera de ne pas avoir pu intervenir à temps pour soulager la souffrance du cerf vaincu. Si cette question n’est que rarement soulevée par les photographes de nature libre, elle taraude la conscience de nos collègues reporters lorsqu’ils cherchent à témoigner sur certains conflits armés. Dans les deux situations, n’est-il pas important de montrer la réalité ? Ces quelques images documentaires (les conditions d’éclairage étaient très limitées et les émotions ont pris le dessus sur la technique) peuvent être difficiles à regarder. Bien que de courte durée, cette scène l’a été bien davantage sur le terrain. Si chacun de nous se réjouit de partager de belles images de la nature, faut-il pour autant occulter la réalité du vivant ? les qualificatifs (cruel, sans pitié, …) que nous, humains, mettons sur de tels comportements, ont-ils un sens dans la nature ? Christian Rambal